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Par : Antoine Navarro, consultant sénior services financiers mobiles, Philippe Tardieu, responsable de projets e-gouvernement, Karime Bensaid consultant sénior architecte SI, Sofrecom

Alors que de nombreux domaines de la Responsabilité Sociale d’Entreprise sont en train d’évoluer d’une approche de compensation et réparation vers une approche de responsabilité « by design », les services financiers digitaux s’illustrent dans la continuité de décennies d’innovation en matière d’inclusion financière.

En s’adaptant à de nouveaux groupes cibles, à des besoins non adressés et en accompagnant les progrès en matière d’identification numérique, les services financiers mobiles explorent les nouvelles frontières de l’inclusion.

La preuve par l’exemple : les services de mobile money

En à peine dix ans, le mobile money a été un facteur clé de l’inclusion financière dans les pays en développement. Alors que les institutions de microfinance avaient depuis plusieurs décennies trouvé un modèle de service financier inclusif et pérenne, celui-ci était souvent limité au micro-crédit, service crucial mais dont le besoin est ponctuel dans la vie économique d’un foyer.

En offrant des services de paiement et transfert d’argent, répondant à des besoins quotidiens, le mobile money a permis de massifier l’usage de services financiers par des populations préalablement non-bancarisées ne disposant pas de moyens de paiement autres que l’argent liquide (300 millions de comptes actifs chaque mois et 2 milliards USD de transactions quotidiennes en 2020 selon la GSMA).

Ce faisant les opérateurs du mobile money sont devenus des acteurs clés de l’inclusion financière en apportant des réponses simples en termes d’accès et d’usage. En effet, la composante digitale des services financiers permet d’inventer les nouvelles interfaces qui surmonteront les problèmes d’illettrisme ou illectronisme : interfaces graphiques, bot vocaux, identification biométrique à distance sont autant d’opportunités de lever des barrières encore bien réelles à l’usage.

Les services actuels apportent déjà des réponses concrètes, mais devront continuer à évoluer pour renforcer leur impact auprès des populations les plus exclues et vulnérables. La capacité à servir le monde rural, avec des solutions adaptées à la complexité des flux financiers et matériels du secteur agricole, reste ainsi un enjeu majeur.

En valorisant certains actifs clefs au profit des services financiers, les opérateurs de téléphonie mobile ont introduit la première forme d’infrastructure digitale au bénéfice de tous les acteurs. Parmi ceux-là, le maillage du territoire par un réseau d’agent et des interfaces légères telles que les menus USSD ont ôté la contrainte pesant sur tout acteur souhaitant commercialiser des biens et services de savoir avant tout gérer des flux de paiement en liquide.

Cette avancée a profité aux prestataires de services financiers eux-mêmes, puisque la plupart des institutions de micro-finance offrent aujourd’hui le déboursement et remboursement du crédit via mobile money, mais aussi à toute une gamme de services essentiels. En ouvrant leurs APIs, les opérateurs de mobile money ont, en plus de participer à l’inclusion financière numérique, facilité l’inclusion « par le numérique » et l’accès à toute une gamme de services requérant un paiement. Ainsi, l’avènement des modèles « pay-as-you-go » permettant le prépaiement à distance de l’eau ou de l’électricité est entièrement tributaire du mobile money.

L’identité numérique : une clé indispensable pour l’inclusion

Du fait du caractère régalien de la monnaie et du contrôle des flux financiers, sujets aux réglementations en matière de blanchiment d’argent et financement du terrorisme, les avancées en matière de services digitaux sont intimement liées aux progrès en matière de détention de documents d’identité, et digitalisation des systèmes d’identification.

À l’échelle mondiale, un quart des enfants de moins de cinq ans n’ont jamais été enregistrés à la naissance, ils ne disposent d’aucune preuve d’identité juridique leur permettant de protéger leurs droits et de garantir l’accès universel aux services sociaux. L’Objectif 16.9 du programme de développement durable adopté à l'unanimité par les 193 États membres des Nations Unies en 2015 recommande que « les états garantissent à leurs citoyens d’ici à 2030 une identité juridique, notamment grâce à l’enregistrement des naissances ».

L'absence de papiers d'identité limite le plein exercice des droits et libertés des citoyens en accentuant la vulnérabilité et l'exclusion sociale des populations, et l’absence d’un système d’identité digitale, entrave la planification efficace des ressources publiques et la mise en œuvre de politiques et programmes pour l'inclusion et pour le bien-être social.

Les sociétés modernes sont porteuses d’exigences nouvelles pour l’identité qui doit être accessible, digitale, unifiée, intégrée, centralisée et transverse, mais néanmoins fiable, robuste et sécurisé. L'identité numérique, ou identité électronique (eID), offre aux pays en développement une opportunité unique d'accélérer le rythme de leurs progrès nationaux :

  • En Estonie, l’eID est ainsi depuis plus de 20 ans la pierre angulaire de l'ensemble des services digitaux du pays. Il fait partie des transactions quotidiennes de tout citoyen dans les secteurs public et privé. Les gens utilisent leur eID pour payer leurs factures, voter en ligne, signer des contrats, faire des achats, accéder à leurs informations de santé et bien plus encore.
  • Le système indien Aadhaar, qui recense pour sa part une population de près de 1,2 milliard, est requis pour s’authentifier en ligne, percevoir les pensions de retraite, obtenir une pièce d’identité ou bénéficier des programmes de subvention alimentaire.
  • De l’autre côté de la planète encore, le système d’identification national péruvien mis en place dans les années 90 a aidé le pays à sortir rapidement d’une longue période de troubles politiques et d’instabilité économique en constituant un outil efficace de lutte contre l’absence de document d’abord et contre la pauvreté ensuite.

De façon générale, l’eID modifie la manière dont les services sont fournis, contribue à la croissance de l’économie numérique d’un pays et soutient des filets de sécurité efficaces pour les populations défavorisées et démunies. L'avènement de nouvelles technologies – sous la forme d'appareils mobiles, de médias sociaux et d'Internet – offre de grandes possibilités aux pays en développement. Combinée aux téléphones mobiles et à Internet, l'identification permet de fournir des services par voie électronique, ce qui renforce l'efficacité des gouvernements et des entreprises privées et aboutit à la création de nouveaux produits et services en ligne.

Si de grands progrès ont été enregistrés en matière d’inclusion financière et d’identification numérique, certaines des barrières à lever dans les pays en développement résident encore dans les fondamentaux du numérique, à savoir la capacité à couvrir les populations exclues en réseau, permettre l’accès aux équipements mobiles, et maintenir suffisamment de points de services physiques pour accompagner la transition vers le numérique.